Ici, c’est Bambeto

Article : Ici, c’est Bambeto
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7 octobre 2014

Ici, c’est Bambeto

Situé à environ une dizaine de kilomètres du centre ville de Conakry en Guinée, Bambeto, cette petite bourgade en banlieue, est un vrai « casse tête chinois  » à l’échelle étatique. En lui seul, une énigme et, même plus, une épine qui pique chaque fois qu’un événement social s’oppose à son bon vouloir. Il est 6h du matin, au grand rond point, nombril de ce quartier qui s’en identifie par ailleurs, grouille déjà de petit monde. Les  « coxers », de jeunes rabatteurs pour le service local de transport en commun, sont à pied d’œuvre pour « charger bord à bord » les magbanas (mini bus) et des véhicules de 20 ans d’âge, faisant office de taxi et marqués par la rudesse de leur parcours quotidien sur des routes dégradées, parsemées de nids de poule, de dos d’ânes, de rochers et j’en passe.

Rond-point de Bambeto. (Crédit photo : Lamine Nabé)
Rond-point de Bambeto. (Crédit photo : Lamine Nabé)

La gare routière située juste derrière une station d’essence de la place commence, elle aussi, à débiter les premiers « pih pih » de son interminable concert de klaxon. Le petit déjeuner est, quand à lui, prêt comme d’habitude, au choix s’il vous plaît : riz sauce feuille, riz sauce tomate, riz arrosé de « soumbara » (épice local très prisé) ou le fameux « lafidi », une spécialité locale. Le « dapa », sorte de pâte jaune à base de maïs accueille lui aussi ses partisans, servi selon la revenu du consommateur (demandeur).

Une vieille superstition dit que les véhicules en tête de course, appelé « prioritaire », doivent tout faire pour embarquer les premiers voyageurs qui se présentent au risque d’être sujet à une journée pourrie pleine de mauvaises fortunes.

Une heure plus tard, retour au rond point où la circulation commence à se densifier. Les automobilistes pressés comme toujours, soucieux d’arriver au plus vite à leur site de travail, rivalisent de dextérité. La priorité, en principe, selon le code de la route est à… droite, vous croyez, non ? Détrompez-vous, à Bambeto comme partout dans cette ville inénarrable, Conakry,  la priorité est au plus prompt, au plus audacieux, au « kamikaze », celui qui sans vous jeter un regard vous montre qu’il  est bien décidé à y aller, au détriment du bon sens, au risque d’un accrochage et de tout ce qui en découlerait ou pourrait en découler.

Sans feux rouges, le rond point fonctionne à l’ancienne, avec les indispensables agents de  police routière (de la circulation), habillés comme ils peuvent, d’une chemise qui n’a de bleu qu’un soupçon. Sifflet au bec, ils règlent autant que faire se peut, les passages de centaines de véhicules allant dans tous les sens.

Quatre heures plus tard, le soleil est bien là, tout là haut, et çà se sent et se ressent. Le trafic s’est encore un peu plus étoffé, klaxon et sifflets diffusent une harmonieuse cacophonie. Les automobilistes apprécient et, parfois, ce sont les véhicules et non les « choferr », lisez « chauffeurs » et comprenez « conducteurs », qui en prennent un coup, matraqués (au propre) pour leur indiscipline, leur stationnement désordonné, le temps de ramasser à la hâte quelques passagers çà et là.

Les petits vendeurs d’eau et de petits gâteaux faits maison déambulent entre les voitures, proposant de vives voix leur marchandise bien conservée. Généralement mineurs, ils maîtrisent les us et codes de ce rond point, leur lieu de travail, leur gagne pain. Ne vous y trompez pas, le cent mètres pour eux, c’est en moins de dix secondes, Usain Bolt n’a qu’à bien se tenir, une relève probable se dessine à Bambeto.

Qui s’y frotte, s’y pique. Réputé pro-opposition, Bambeto passe pour une zone de turbulence semblable à celle que traverse un avion dans le ciel. Pour un oui ou pour un non, tout part en « couille » au quart de tour  (c’est le cas de le dire).

De Lansana Conté à Alpha Condé, en passant par le fantasque capitaine, Dadis Camara, tous (Présidents) ont eu droit à leurs nuits blanches, causées par cette cité imprenable, autonome où jeunesse rime avec débrouillardise et laisser pour compte. Bastion des contestations, point focal de toutes les manifestations de rue, Bambeto, la révoltée, assume et affirme son caractère. Jamais intimidée, toujours en première ligne, elle ne lâche rien, et finit toujours par en imposer aux forces de l’ordre qui la redoutent par ailleurs.

A fleur de peau, le moindre délestage à l’occasion d’un match de foot peut entraîner un déferlement de masse sur la voie publique, leur jardin, pardon, leur tribune de communication. Notons au passage que, en la matière, ils ne manquent pas d’arguments et surtout de moyens.

Disons que rien n’est fait pour éviter cela. La fourniture d’électricité y est purement aléatoire autant que celle de l’eau au pays du château d’eau d’Afrique. Alors, pour exprimer son ras le bol, la rue est barricadée à chaque fois et tant pis pour les suicidaires, il faudra slalomer, se faufiler pour échapper aux jets de pierres qui jaillissent de nulle part. Un concours avec la Palestine permettrait d’établir un classement mondial, où inscrire le jet de pierre comme discipline olympique offrirait certainement des médailles à la Guinée !

Toujours stigmatisée, indexée négativement, Bambeto regorge pourtant comme partout de jeunes talentueux, ingénieux, soucieux de leur devenir, qui ne demandent qu’une seule chose : leur offrir l’opportunité de vivre « normalement » en étant valorisés.

A l’instar de toutes les cités banlieusardes, Bambeto se veut l’expression du sentiment de révolte qui traverse ou anime toute une jeunesse. Elle se veut le porte drapeau d’une jeunesse en mal de repères, une jeunesse privée de rêves, nourrie de chimères, au lendemain incertain, sacrifiée par un immobilisme séculaire à tous les niveaux.

Bienvenue, car même si, vue de dehors, il n’y fait pas bon vivre, on n’y vit tout de même, avec nos valeurs : le courage, l’engagement, l’abnégation, l’envie de s’en sortir.

Ici, c’est Bambeto !

 Nabé Lamine

@mnabe_m

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