Ecole guinéenne : le racket organisé
Il ne se passe presque pas une seule journée sans que les élèves ne soient sollicités financièrement dans les établissements scolaires publics comme privés. Dans l’école guinéenne, les parents d’élèves sont en proie à un fléau de racket généralisé qui est en passe de devenir une coutume.

N’Famory rentre chez lui, après trois bonnes heures d’embouteillage comme tous les jours. Ereinté par de dures journées de labeur, il a hâte de souffler avant de prendre son repas du soir concocté par sa brave femme N’Nabinty.
– Comment vas-tu Ismael ? Qu’avez-vous fait à l’école aujourd’hui ?
Ismael, les yeux brillants, commence à balbutier et se fait reprendre par sa sœur aînée :
– Ils ont chanté comme d’habitude, papa !
– On a aussi récité, reprend Ismael : récitation, mon ballon, il est rond, il est…
Le temps de finir, que voici Asmao qui enchaîne, visiblement à l’abordage :
– Papa, on nous demande d’emmener 5 000 GNF à l’école !
– Pourquoi ? s’écrie tout de suite N’famory.
– C’est l’anniversaire de notre monsieur ?
Le monsieur, c’est ainsi que l’instituteur se fait appeler par la classe. Jamais par son nom, en tous cas, pour les élèves.
– C’est quoi ? L’anniversaire de qui ?
Ce dialogue, tous les parents d’élèves guinéens l’ont régulièrement avec leurs enfants. Et ça commence à peser. Rares sont les parents d’élèves qui ne s’offusquent pas de se voir obligés de payer des petits montants entre guillemets, mais qui finissent par constituer une bonne somme.Les pauvres parents d’élèves ne savent plus à quel saint se vouer. De plus, ils sont mécontents de voir les enfants fréquenter l’école que parcimonieusement. L’année scolaire a débuté fin février à cause du virus Ebola et les cours sont souvent interrompus par les manifestations de rue et les grèves.
Aujourd’hui, il faut verser 5 000 francs guinéens pour qu’un bulletin de fin de trimestre soit délivré, sinon pas de résultats pour votre enfant. L’institutrice est marraine d’un mariage, 5 000 francs guinéens également sont sollicités par élève pour soutenir Madame qui doit faire étalage de sa fortune vis-à-vis des griots et griottes. L’épouse de l’instit vient de donner naissance à un beau bébé, allez, pour le baptême, ce sera 2500 par élève et par classe.
Monsieur (l’instit) veut faire de la lessive le dimanche, à ce titre, il réclame à chaque élève, 1 000 francs guinéens, pour acheter du savon. A noter au passage que cette lessive est assurée par des élèves à tour de rôle. L’instit vous fait donc payer le savon qui servira à blanchir ses vêtements et se sert de votre enfant comme ménagère chez lui les week-ends. Pas étonnant de ne pas le voir faire ses révisions le soir, fatigué qu’il est.
Demandes récurrentes, ponctuelles et obligatoires, vous exposez votre enfant à un traitement spécial, si jamais vous refusez de vous conformer. Au départ, on n’y prête pas attention, et petit à petit, cela va crescendo, pour ne plus s’arrêter. Un vrai commerce qui ne dit pas son nom, mais qui voit des parents d’élèves soumis à un vrai racket quotidien sans pouvoir protester. Votre enfant recalé même avec un bon niveau suffit pour vous dissuader de toute action à l’encontre ces instituteurs qui ne font pas honneur au métier.
Mon instit à l’école primaire, c’était après papa, ma star préférée, dans les temps. C’était celui qui me faisait parler français correctement, celui qui d’un coup de baguette magique me faisait apprendre la table de multiplication mémorisée jusqu’à ce jour. Mon instit, c’est celui qui pourrissait mes vacances avec des tas d’exos de grammaire recueillis dans le « Bled », célèbre livre. Mon instit, c’est celui qui m’a fait comprendre que lorsque deux verbes se suivent, le second se met à l’infinitif !
Mon instit, j’en étais fier. Celui de mes enfants, je le méprise et ne vois en lui qu’un escroc qui me soutire de l’argent autant que faire se peut. A quand la marche contre le racket dans les écoles guinéennes ? Je suis partant d’office et prêt à brandir ma pancarte…
Nabé
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