Guinée : Trois astuces de l’oncle Bafodé pour bien vivre l’instabilité politique

Article : Guinée : Trois astuces de l’oncle Bafodé pour bien vivre l’instabilité politique
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19 avril 2015

Guinée : Trois astuces de l’oncle Bafodé pour bien vivre l’instabilité politique

Mes chers enfants, l’heure est grave comme le dénote la situation actuelle, mais pas complètement si vous tendez bien l’oreille à mes subtiles petits conseils. Les déclarations des uns et des autres sont de plus en plus incendiaires, à les écouter, on se croirait en guerre, alors qu’il ne s’agit que d’élections. C’est là que vous verrez tout le sens de mon rôle de vieux sage du quartier.

Traces de violences au rond-point de Bambeto - Guinée (Source KabaBachir)
Traces de violences au rond-point de Bambeto – Guinée (Source KabaBachir)

Pour parler d’élection, il faut forcément prendre en compte la chasse des voix à l’occasion du ou des votes. Nous avons débuté l’année par des restrictions à cause de la terrible épidemie Ebola, qui continue de sévir. On a l’impression d’avoir à faire à une maladie mutante, qui résiste à toutes les tentatives d’éradication. Un jour ça va, le virus perd du terrain, le jour d’après, il revient en force comme par magie. Nous devons donc nous adapter. Apprendre à mourir seul chaque jour, car on ne sait jamais d’où ça peut venir, où ça peut s’attraper, cette satanée maladie.

Bref, chers enfants, il nous faut prendre des résolutions. Nous aurons à subir plusieurs manifestations et des meetings de tout ordre comme nous l’avons souvent connu avec nos politiques. Ces derniers jours, c’était contre l’insécurité que quelques un d’entre eux battaient les pavées. Juste et noble cause, vous me direz, mais le problème est que les marches reflètent le même rituel depuis toujours depuis que c’est devenu un moyen de pression craint par le pouvoir et très apprécié des acteurs politiques. Pendant ces moments, pour nous autres menu fretins, pour aller chercher nos gagne-pains ou aller à l’école pour vous les enfants, nous n’avons tous que le choix d’un même et seul type de transport en commun : le « magbana ». C’est un effort financier que je ne peux plus me permettre cette année, cela, je présume devrait être valable pour la majorité d’entre nous tous. Et pour ne plus continuer de subir les aléas de ces rixes dont on est loin d’être à l’origine ni à l’aboutissement, voilà ce que je propose :

Violences sur l'axe Hamdalaye, Bambeto - Guinée (Source africaguinee.com)
Violences sur l’axe Hamdalaye, Bambeto – Guinée (Source africaguinee.com)

Premièrement :
Je décrète la marche permanente, longue et interminable. Même si les politiciens décident d’arrêter, nous on continuera, car c’est pratique, un jour sur deux, vous aurez droit à cinq cents franc guinéen pour vous acheter au passage un sachet d’eau Coyah (eau minérale locale vendue en sachet et en bouteille). Il faut se comporter en équipe comme je vous le recommande souvent. Le salut est dans l’union et dans un vrai esprit d’équipe. Si vous rentrez à midi, vous mangerez aux alentours de 16h afin de pouvoir tenir jusqu’au lendemain. Les six autres qui rentreront le soir, mangeront eux, à 23h50 précises, et ce pour les mêmes raisons que pour les cinq premiers. Profitons donc de cette marche contre l’insécurité pour en donner aux autres. Abou, je vois que tes biceps ont pris du volume, ils nous serviront à impressionner certains automobilistes imprudents qui voudront traverser notre quartier. Une vitre brisée par ci, des téléphones portables retirés par là, sans oublier les portes monnaies, et la journée est gagnée. Je crois que nous tenons notre plus grande aubaine, cette fois-ci. Gare au premier politicien qui nous demandera d’arrêter, il n’est pas question. De toutes les façons, nous, nous vivons en permanence avec cette insécurité, alors nous tenons l’occasion de la montrer à la face du monde.
S’ils insistent, nous passons à l’autre camp, comme on l’a toujours d’ailleurs fait. Allez y, brûlez, caillassez, pillez, blessez, mais ne tuez pas et surtout ne vous faites pas tuer.

Deuxièmement :
Continuez à être prudents. Votre cousin Moussa, décédé par suite d’Ebola, que nous avons enterré en catimini, tard la nuit, en soudoyant le gardien des lieux, doit servir d’exemple. Nous avons à cette occasion montré notre solidarité et lui avons accordé un départ digne. Il fût lavé et l’imam Alimou, avec qui je bois du Jack Daniels en a fait son fond de commerce. Il s’est spécialisé en prière funèbre pour victimes d’Ebola et vit encore grâce aux potions magiques immunisantes dont il se vante.
L’eau de javel coûte 50.000 francs guinéens le bidon de quatre litres. En acheter un me paraît inapproprié ou insensé, car comme vous le savez, cet argent nous permettrait de manger de la viande au moins une fois par an, en dehors de la fête du mouton et de la générosité de nos voisins.
Si vous tendez la main à quelqu’un, c’est pour recevoir, pas pour donner. Recevoir un petit billet, vaut bien quelques risques que le savon diama (pain de savon local à fort dosage) peut effacer. Continuez aussi à vous tenir au courant des décès, peu importe de quoi aurait succombé la victime, l’essentiel c’est de pouvoir nous rendre au domicile de la famille éplorée et partager leur peine en profitant du couvert des funérailles.

Troisièmement :
Après l’insécurité, viendra l’obscurité. Nous marcherons comme nous savons le faire, c’est notre quotidien. Il suffira de profiter ces jours ci de la diffusion des matchs de la champions league européenne. Sans électricité, impossible de suivre ces matchs, alors nous marcherons à nouveau, casserons, brûlerons, pillerons et caillasserons tous ceux qui par paresse, préfèreront se déplacer en voiture. Puis, quand ils en auront assez, quand ils se seront rencontrés dans leurs salons feutrés, autour d’une bonne bouteille millésimée de vin, ils liront une déclaration dont nous n’aurons rien à foutre. Ils oublient en ce moment là, que nous n’avons pas de courant pour les voir, en plus du fait que nous avions déjà de la peine à renouveler les piles de nos vieilles radios toutes les semaines. Quand il sera question de voter, nous offrirons nos voix au plus offrant comme d’habitude. 2015, jeunes gens, 2015, dis-je, sera notre année !

@mnabe_m

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