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Et au bout, le roi de la CAN 2015 sera un félin, un pachyderme ou un rapace planeur

La course à la succession des aigles verts est lancée. Lions, Panthères, Eléphants, Chacals, Aigles, Etalons, Léopards, Panthères et j’en passe ont été lâchés le 17 janvier. Bien malin qui pourrait désigner le nouveau roi de la forêt. La symbolique animalière est de mise et usitée par bon nombres de pays africains pour désigner leur sélection nationale. La puissance, la vélocité de la bête doit caractériser la sélection afin de justifier ou mériter son sobriquet

Supporteurs du Syli national à Conakry
Supporteurs du Syli national à Conakry

Groupe A :                                              

D’entrée de jeu, congo-brazavillois et bon petits mercenaires de la Guinée Equatoriale nous ont laissé comprendre que la couronne ne les concernait nullement. Les panthères lors de cette première journée ont monté et dompté des étalons trop dociles. La fashion star PEA, fils à papa,a fait plaisir à son cireur et laveur de caleçon de papa  Aubameyang par un fort joli but.

Groupe B :

Dans le groupe B, c’était une journée pour rien, de quoi prendre ses repères et repartir bons amis.

Chipolo polo zambiens et congolais de Kinshasa ont joué au rythme d’une rumba lente et sans surprise, quand chacals et requins bleus, espèce protégée,preferaient chacun rester dans son univers.

Groupe C :

Puis ce fût autour du groupe C, le groupe de la mort, où des sud africains ont fait voir de toutes les couleurs aux algériens avant de s’incliner faute d’efficacité,au réalisme des natifs de kabylie.Dans le derby ouest africain, les lions de la teranga ont brulé dans le temps additionnel, les ailes des étoiles noires, assombrissant d’avantage le ciel d’Accra.

Groupe D :

Le duel des éléphants a éveillé bien des passions, notamment à Conakry, où la population, forte de sa résistance à Ebola et suite à sa qualification quasi miraculeuse, s’est fabriquée une légende autour d’un malheur,y entrevoyant des signes d’un destin glorieux passant par une situation tragique.

Et si Ebola boostait les éléphants de Guinée pour la victoire finale…

Menant à l’issue de la première période, le syli de Guinée semblait tenir le bon bout mais faute de pudeur, il va laisser passer l’occasion de se faire un éléphant des lagunes, lourd comme jamais à l’image de son capitaine Yaya,traînant sa bosse comme une croix trop souvent sur les pelouses africaines. Cette Côte d’Ivoire d’après Drogba  était prenable et l’on se demande si la Guinée n’avait pas laissé passer sa chance. Historiquement le mali ne réussit presque jamais à battre la Côte d’Ivoire, pendant que le syli  échoue régulièrement devant les aigles de Bamako.

Affronter les lions revigorés et dos au mur lors de la deuxième journée n’est pas une chose simple non plus.

Ce serait dommage qu’on en vienne à regretter ce premier match entre pachydermes !

Vivement la fin du premier tour afin d’y voir plus clair.

 


Conakry, la capitale à dos d’âne

Circuler sur le macadam dans les rues de Conakry ressemble de plus en plus à un parcours du combattant. Comme un épiphénomène qui se développe à la vitesse grand V, l’installation anarchique des « dos d’âne » ou ironiquement « gendarme couché », ironiquement pour certains, sur les routes se répand dans tous les quartiers de la capitale. Le plus étonnant est que tout cela se fait sans l’aval des autorités compétentes.

Interrogez les initiateurs et ils vous répondront ceci : « Les gens roulent trop vite dans nos quartier, alors qu’ici, c’est sur la route que nous faisons tout et c’est ici aussi l’air de jeu de nos enfants, c’est leur terrain de foot ! »

Exemple de dos d'âne qui foisonnent à Conakry en Guinée
Exemple de dos d’âne qui foisonnent à Conakry en Guinée

Hé oui, vous n’hallucinez pas, tout se passe comme si les priorités avaient été refaites. Les gens d’abord et les véhicules après. Kenien, un quartier situé dans la commune de Dixxin, elle-même, dans la ville de Conakry pourrait, si « un concours des routes à dos d’âne » était lancé, prétendre à la médaille, pardon au « dos d’âne d’or »

Tenez vous bien, toujours dans ce même quartier de Kenien, à force, il existe aujourd’hui un passage portant le nom de « Rue dos d’âne ». Pourtant, un axe très fréquenté qui relie deux grande commune de la capitale.

Souhaitant gagner du temps, beaucoup d’usagers de la route l’empruntent régulièrement mais s’aperçoivent que plutôt que d’en gagner, ils en perdaient en réalité. Dans un petite « Renault Clio » voiture française basse, j’emprunte ce tronçon un lundi matin. En file indienne, les voitures donnent l’impression d’être en compétition. Qui vaincra ces satanés dos d’âne, haut comme une montagne et s’étalant sur toute la largeur de la route. A intervalle d’un mètre, de taille différente, ces dos d’âne sont des ralentisseurs qui s’imposent à tout le monde. Ma petite « Clio » se frotte à leur rudesse. Rythmant la cadence, ils vous imposent la vitesse du moment. Ce sera la première, 20 à l’heure. Vous descendez d’un dos que vous voilà sur un autre, plus épais, plus teigneux et un peu plus haut que le précédent. Les uns après les autres, ils vous transportent à leur bon vouloir. Embrayage, frein pour les mécaniques ou première, freins pour les automatiques, chaque instant à dos d’âne est un vrai calvaire, un supplice, aussi bien pour le conducteur que pour la voiture. La 4X4 ruisselante, sortie d’usine est elle-même obligée d’essuyer cet affront. Les dix premiers dos d’âne sont distants d’environ de deux mètres chacun quand vous partez du marché de Kenien pour rejoindre la transversale T1, une des principales route importante de la capitale. Et au fur et à mesure, l’intervalle les séparant les uns des autres passe à cinq mètres ou plus. Du coup, pour celui qui y passe pour la première fois, c’est la totale surprise. On croit en avoir finis en accélérant enfin alors que non et tout d’un coup il faut encore ralentir.

25 dos d’âne plus tard, le parcours de cette rue spéciale a fini d’escamoter mon pot d’échappement. Censée me faire gagner du temps, cette route, au final, me fera plutôt perdre du temps chez le mécanicien et de l’argent pour les réparations.

Un taxi de Conakry sur un dos d'âne anarchique sur une route de la ville.
Un taxi de Conakry sur un dos d’âne anarchique sur une route de la ville.

Généralisation et types de dos d’âne :

Le phénomène, car çà en est un, gagne de plus en plus de terrain. Dans toutes les communes, tous les quartiers, chacun y va de son «dos d’âne » citoyen, histoire de pouvoir prendre possession de la route ou de la rue, dictant au passage, son tempo ou son desiderata aux automobilistes.

Le dos d’âne conventionnel, régulier dans sa courbe, il fait corps avec le goudron et est fait aussi de goudron, d’où une certaine harmonie.

Dos d’âne par ici, dos de chameau par là, les automobilistes sont confrontés tous les jours à des olympiades, du genre 400m haies, à franchir tous les deux ou trois mètres. Le plus étonnant dans cette affaire, c’est l’absence de réaction de l’Etat. Personne ne lève le petit doigt, personne n’en fait cas. Et pourtant, les routes sont vandalisées tous les jours par des gens qui se croient tout permis tout simplement. Savent-ils combien coûte un kilomètre de bitumage ? Un milliard de francs guinéen pour un kilomètre de route nationale !

Sans aucune expertise, sans autorisation préalable, ils creusent, dénaturent et endommagent les routes impunément.

Des mesures sont à prendre au vu des dégâts. Toutes nos routes sont dégradées, il semble donc urgent de prendre les devants. Mais avant, la citoyenneté doit être rappelée à tous afin de mettre fin à ces pratiques anormales.

Lamine Nabé


Qualifications CAN 2015 : Le syli de Guinée « ébolamment »

Conakry, le virus Ebola fait ravage et sème la terreur partout. Un cas par ci, un cas par làToutes les régions sont touchées, les unes après les autres. Calendrier oblige, les qualifications de la Can 2015 (coupe d’Afrique de football des nations)doivent suivre leur déroulement normal si possible. Quoi qu’il en soit, le cuir rond doit continuer à tourner même si dans les pays concernés, rien ne tourne rond. Au vu donc de la situation dramatique, la Caf (confédération africaine de football) décide que le Syli de Guinée jouera tous ses matchs à l’extérieur

Loin des yeux, près du cœur

Le match à domicile pour le syli de guinée (sobriquet de l’équipe nationale de football de la Guinée, signifiant Éléphants de Guinée), c’est à casa, au Maroc où l’épreuve était prévue se tenir.

Monument du Syli, emblème de la Guinée. Rond point du quartier de Belle-vue - Conakry
Monument du Syli, emblème de la Guinée. Rond point du quartier de Belle-vue – Conakry

Au Sénégal et au Mali, les premiers cas d’Ebola ont été importés de la Guinée. Vous comprenez que depuis il fait pas bon de brandir cette carte d’identité dans la sous région. Le mythique stade du 28 Septembre, jour du mémorable référendum devant déterminer le statut de la guinée en 1958, habituellement chauffé à rouge’et retentissant de « gbinh gbinh soh!» (cri ou slogan d’encouragement des supporteurs du syli de Guinée) sonne creux depuis cette décision. Faut donc prier que le courant soit au rendez-vous afin de pouvoir suivre la retransmission à la télé, sinon s’en remettre à la bonne vieille radio. Les matchs à‘domicile’ont donc un air de matchs à l’extérieur. Délégation réduite au strict minimum (coté positif de la situation, les factures devraient être un peu moins salées pour l’Etat), çà respire vraiment pas la sérénité, âme de supporter parlant. Parti comme c’est, çà s’annonce difficile. Les premières défaites sont le fait du virus, sic!Les joueurs se sentent stigmatisés et pensent un peu trop aux familles endeuillées, les pauvres, trop sensibles les mecs. Puis le déclic, au moment où on n’avait fini par s’y faire «Ebola là, vraimennnnnnt, haaa, sinon, ha, si c’est ici au 28, syli va qualifier sans problème!»’Traduction: n’eut été le virus Ebola, le syli en jouant à domicile, ici au stade du 28 Septembre, aurait dit NON à la défaite ! Alia, inconditionnel fan du syli, semble désespéré.

L’exploit

Dos au mur, le syli se devait de vaincre««les montagnes russes», gagner deux matchs de suite, et de surcroît, à l’extérieur. Deux finales, la première à Lomé, capitale du Togo d’Adebayor et le second, toujours à l’extérieur, mais à domicile, à casa, contre l’Ouganda, pays connu pour ses performances en athlétisme. Sacré Syli, spécialiste en surprises, bonnes et mauvaises à la fois, capable du meilleur au moment où on ne s’y attend pas du tout, et du pire au moment où on ne s’y attend pas du tout aussi. C’est donc ce Syli qui va déjouer tous les pronostiques en deux matchs. Le Togo d’Adebayor, le géant aux pattes agiles, redouté par bon nombre de défenses africaines, notamment celle du Mali, passe à la trappe, pulvérisée 1-4, avec un triplé du virevoltant Seyba Soumah, héros national depuis. A Conakry, tout comme dans l’arrière pays, on n’en croit pas ses oreilles, ’ fini national’’ pardon, syli national, vainqueur à Lomé, personnellement je n’y croyais pas. L’espoir pourtant renaît, on ressort les calculettes et les scénarios vont bon train. 2-0, fin du match, l’Ouganda, est vaincu par un Syli des grands jours, au «jaune de chauffe» Le pays entier explose de joie, les foules se déversent dans les rues, chantant, dansant. Embrassades par ci, accolades par là, les uns dans les bras des autres, emmêlant sueurs et pleurs. En ces instants, les consignes ‘Ebola ont volé en éclat. Tout le monde se frotte à tout le monde, le « compteur victimes d’Ebola » est à nouveau à rebours, mais on s’en fout, Ebola K. O. entend-t-on comme une clameur. Symbolisme quand tu nous tiens, dirait-on, mais la réalité était là, imposante, il fallait donc laisser paraître et extérioriser les ressentiments, les frustrations. Mais avant cet exploit à casa, la Can est allouée à la Guinée Equatoriale le 14 novembre. Entre temps, le Maroc qui a peur d’Ebola, se voit retirer l’accueil de l’évènement le 11 novembre. Pourtant il a accueilli «l’ambassadeur» du virus sur son sol pour ses matchs à’ domicile. Contradiction philosophique ? Je vous laisse cogiter !

Le Bilan

Ils se croyaient trop beaux, volant trop haut, avec leurs puissantes ailes vertes. Ils sont tombés bien bas et rentrent dans la «short list» du champion qui ne peut défendre sa couronne à l’édition suivante. «Le taureau de Kaduna»(Rachidi Yekini) a dû se retourne plusieurs fois dans sa tombe ! Tenus en échec sur les terres de leurs ancêtres par les descendants de «Chakra Zulu» le Nigeria s’est tiré tout seul une balle dans les pieds. Autre coup du tonnerre, l’élimination de l’Egypte, le temps des pharaons est bel et bien révolu. IL faudra donc se résoudre à momifier le pauvre gardien de but, El Hadhari, réagissant 10 secondes trop tard au coup franc de maitre du tunisien Khazri à la 77ème minute. Troisième non participation de suite à une phase finale, çà commence à faire beaucoup pour une si grande nation de foot.

Trois minutes à jouer « au renard passe passe, chacun à son tour chez le coiffeur!» (chansonnette écolière bien connue) Hervé (sélectionneur des éléphants de Côte d’ivoire) pour une qualification, a vendu sa belle chemise blanche sport au diable du football!

Moralité, tous les chemins mènent à Malabo!

Petit pronostique pour la route : une finale Algérie Cameroun semble envisageable tellement ces deux pays ont survolé ces éliminatoires. Mais, car il y’a toujours un mais, un invité surprise se prépare surement… Tunisie, Cap vert, l’un des Congo… En espérant le soir du 6 Février 2015 force est de reconnaître, ce Syli là, mérite respect et admiration.

GBINH GBINH SOH !


Guinée : ascension sociale et sacrifices

« J’ai fait beaucoup de sacrifices pour en arriver là ! » Comment la comprenez-vous, cette phrase, si simple ? Un coup d’œil rapide dans un dictionnaire et vous verrez ; sacrifices : privation volontaire, renoncement, don de soi. Exemple : ce pompier a sacrifié sa vie pour sauver cet enfant ! (hum hum !) Puis : offrande rituelle, exemple : lisez la suite s’il vous plaît. Kaloum, la belle cité de conakry, il est 10h, le centre ville grouille déjà de monde. Les klaxons se font entendre de partout, les ‘bouchons’’ habituels sont au rendez-vous. Soudain, déboule à toute pompe une jeep de couleur verte lézardée, à bord 12 ‘bidasses’.

Dans un crissement des roues, elle s’arrête là, en plein carrefour. Un bœuf de plus de 100 kilos est balancé, là, sur la chaussée, égorgé mais le corps trépillant encore de ce qui lui reste de souffle de vie. Aussitôt une marée humaine noire, armée, qui de couteaux, qui de machettes, s’affère autour de la chair fraîche, taillant dans le vif des quartiers. C’est du ‘’self service’’ à qui mieux peut ! Au café « itan nan bé », traduction (c’est toi le patron d’ici), situé juste au coin de la rue, les commentaires vont bon train : « C’est le capitaine Dadis, il ne veut pas lâcher le pouvoir, c’est pourquoi il fait des sacrifices partout !  » Vous l’aurez compris, nous étions en 2010, la transition battait son plein et les carrefours de la banlieue avaient, eux aussi , eu leur « sacrifices » avec la même bagarre pour rafler à coups de coupe-coupe et de dextérité, une provision de viande providentielle et inespérée.

Pesanteur sociale Sacrifice2

Nous sommes jeudi, après avoir joué des épaules et bousculé au passage une dame élégamment vêtue, je m’engouffre enfin à bord d’un taxi, ouf ! Plus d’une heure et demie d’attente sous un soleil d’aplomb, à espérer un taxi qui veuille bien ne pas retourner et nous emmener ‘’ en ville’’ comprenez kaloum, comme si ailleurs, on n’était pas dans la ville de Conakry. C’est vrai qu’à voir la mine des autres bourgades, y’a vraiment pas photo. Electricité, eau, buildings, services, bureaux, présidence, ministères, kaloum abrite tout, presque tout, au point de s’identifier à la capitale de la guinée, Conakry. « Emboutiyage gbôoh, walahh hii, alé en vil à ler là, walaî che dificil !>> dixit le ‘ taximan’. Littéralement : pas commode de joindre la ville à ces heures, trop d’embouteillage. « Walaii je m’en vais jeter cauris oooh ooh, je m’en vais jeter cauris ! » Ce refrain, si vous êtes né dans les années deux- milles, ne vous parle sans doute pas. Demandez à tonton, il vous dira, une lueur aux yeux, que la belle Tshala Muana, « la citoyenne aux reins de roseau » a longtemps tourmenté ses nuits ! Ce célèbre titre dénonçait déjà en ces années là, un comportement bien réel qui force est de le constater, a traversé les temps jusqu’à nos jours. Nous longeons la grande « mosquée Fayçal », un don de la bienveillante Arabie saoudite. Au long des murs, des mendiants, de l’albinos à l’handicapé physique, vous avez le choix. Je dois « donner mon sacrifice » à des jumeaux, un coup d’oeil rapide me permets d’en réperer deux, là bas sur ma droite, tout de bleu vêtu, presque des siamois, tellement ils se ressemblent. C’est mon jour de chance. « Até fili lah », (l’infaillible) le grand voyant du coin, m’avait recommandé d’offrir en sacrifice deux baguettes de pain « tapa lapa » (appellation de la baguette de pain local) à des jumeaux, des vrais avait-il dit. De bouches à oreilles, la misère étant la chose la mieux repartie chez nous, à mon esprit cartésien défendant, j’avais fini par me plier à l’idée que la porte de sortie de la galère ou la porte d’entrée de la réussite, se jouerait finalement là.

Prédictions

Actions de prédire, faculté apparente de prévoir l’avenir. Le voilà, Moussa, réduit à cela. Six heures du mat, le coq vient de chanter, moussa à peine debout de sa natte de prière, balance son boubou gris au coin de la pièce de un mètre carré qui lui sert de chambre à coucher. Il enfile son pantalon noir, passe partout, et une chemise froissée, qu’il n’a pu repasser la veille, faute de courant. La raison de cet empressement, un rendez très important, obtenu grâce à la bonne diligence de son épouse qui, par le biais d’une bonne amie, a appris l’arrivée d’un puissant voyant, célèbre, de par ses consultations et prédictions infaillibles. Au chômage depuis plus de sept ans, Moussa a décidé de se battre contre le sort qui le maintient dans une extrême précarité. « Mabinty forêh » (Mabinty la noire), sa courageuse femme au teint noir d’ébène, callipyge à souhait et maman de huit enfants, chacun séparé d’un an d’âge, tient la baraque depuis tout ce temps. Vendeuse de charbon, elle est la pourvoyeuse de fonds, aidée par les enfants, à leur tour délégués comme vendeurs à la criée de sachets d’eau « Coyah » aux abords des voies publiques de Conakry, capital de l’illustre château d’eau d’Afrique.

Moussa ne supporte plus de feindre de donner la « popote » tous les matins, en commandant le menu du jour à voix haute. Mabinty, bonne joueuse, commence elle aussi à se lasser de ce petit jeu de dupe, ayant pour but de donner l’échange à des voisins un peu trop regardants. Çà commence à murmurer un peu trop, et Moussa n’aime pas çà. Il faut donc arriver très tôt chez ce « diseur de bonne aventure » car tout le monde semble y accourir. « Tu souffres beaucoup, mon frère, beaucoup ! Mais… ça va aller, tu vas voir. Un mouton pas tout à fait blanc, pas tout à fait noir, ses cornes doivent regarder vers le ciel, comme çà toi aussi tu vas t’élever dans la hiérarchie sociale, tu seras un « kountigui » ( un chef) ! Lui, la risée du quartier « Allah nanan » (dieu est là), futur chef ! Il se voit déjà dans son beau boubou blanc, brodé de la tète aux pieds, en tissus BAZIN cocaïne, célébrant pompeusement ses secondes noces !

Pendant ce temps, Mabinty, la brave épouse, s’interroge sur la possibilité « d’enlever » ( entendez de réaliser ou de faire ) ce sacrifice qui lui vaudra d’énormes sacrifices financiers en tous cas ! Cinq tentatives, cinq échecs, kabinet voit son rêve de figurer dans un cabinet d’expert comptables s’éloigner d’année en année. La première du bac, c’était à dix-neuf ans, âge qu’il a toujours cinq ans plus tard comme par magie. Pour conjurer le mauvais sort, ce sera une pintade toute rose et cinq cent milles francs guinéens, à offrir à ‘’dieu’’, le grand marabout ne touchant pas à l’argent. Quand à Ali, il a du mal à vendre ne serait-ce qu’un article par jour, alors que des qu’il est l’heure de la prière, il ferme boutique pour accomplir son devoir religieux. Il invoque à longueur de journée mais regarde le cœur meurtri les clients aller chez ses concurrents. « Tu sacrifieras un kilo de noix de colas blanches, cinquante kilos de riz parfumé que tu devras offrir à un homme, aussi grand et noir que moi. Si tu ne trouves pas tu peux me donner ! »

Le contraste religieux

Bon nombre de guinéens recourent très souvent à cette expertise en ‘ avenir’, pouvant vous faire atteindre votre rêve au prix de quelques sacrifices, les uns plus alambiqués que les autres, et défiant toutes les logiques philosophiques ou religieuses. Du citoyen qui rampe sur la terre à celui qui marche sur l’eau, tout le monde y passe à un moment donné. Chefs de quartiers, maires, directeurs, gouverneurs, députés, ministres, présidents, et j’en passe, tous y passent. Le sacrifice traduisant au passage l’ambition du sacrificateur. Plus insolites, les uns que les autres, le sacrifice fait partie des us de chacun de nous. Un simple rêve ou cauchemar la nuit peut vous conduire à en faire un et ainsi de suite.

Un pied qui enfle anormalement, des maux de tête récurrents, un œil qui cligne un peu trop souvent surement une alerte, allez hop, un petit sacrifice pour conjurer le mauvais œil ! « Je sais que toutes choses découlent d’une loi imprescriptible et établie pour l’éternité. Les destins nous conduisent et la quantité de temps qui reste à chacun est arrêtée des la première heure de la naissance. La cause dépend de la cause: un long enchaînement de choses entraîne les événements privés et publics. Il faut donc tout accepter courageusement, puisque toutes choses ne sont pas comme nous le figurons des hasards, mais des effets ! » Sénèque à travers ces quelques lignes, résumait la doctrine stoïcienne qui semble servir de code de conduite à bon nombre de guinéens, du moins en apparence. Car dans la pratique et paradoxalement, les choses s’avèrent complètement différentes ! De confession musulmane, chrétienne ou animiste », l’homo guinéen sis », loin donc d’accepter que tout soit joué à l’avance, sait qu’il doit prendre en mains les choses afin de ne pas être à la merci du sort. Vous comprendrez que entre ‘’se sacrifier’’ et ‘’sacrifier’’ le conakryka (habitant de Conakry) a vite fait de faire son choix.

Moi je veux devenir Messi ou Christiano… chuuut, les cauris parlent dès qu’elles sont jetées comme le sort, aléa jacta es ! Et Dieu dans tout çà ? Bêhh, il reste bon et tout ce qu’il fait est bon ! Héhéhé ! Au fait, dites moi quel sacrifice vous faites et je vous dirai qui vous êtes !


Ebola, la « success story » !

Ces événements se déroulent quelque part en Afrique. Toute ressemblance avec des faits réels ne serait que pure coïncidence ou invention. Au commencement 1976, Zaïre (hier, République démocratique du Congo aujourd’hui), à Yambuku, un village situé près d’un fleuve au nom prémonitoire, et simultanément au Soudan, à N’zara, naissait le petit Ebola. Ebola Sogue2De la famille Filoviridae (filovirus), le petit Ebola est le troisième membre de ceux que l’on considère dans ce village comme des parias, des bannis, des intouchables. Tonton cueva virus (corona) et tante Marburg ont juré à papa Ebola de bien veiller sur le nouveau-né. Ils voient d’ailleurs en lui un prodige, un petit qui fera la fierté de la famille et rétablira sans nul doute son honneur.

Un soir, lors d’un meeting familial, pendant qu’autour du feu certains se racontaient le périple de l’équipe nationale du pays à la coupe du monde d’il y a deux ans, où le Zaïre avait été humilié, pardon battu par la Yougoslavie d’alors, 9-0 se tenait lors de cette réunion,  en aparté, un tout autre discours

Fiston, qui veut voyager loin ménage sa monture, dit Tonton corona (cueva virus) à son neveu. Tu vois, ta tante Marburg et moi avons commis la même erreur, il ne faut pas que tu en fasses autant ! Ne sois pas pressé, ton heure de gloire arrivera, mieux vaut tard que trop tôt. Trop sûrs de nous, et soucieux de vite nous faire connaître, nous avons brûlé les étapes et du coup, nous avons été maîtrisés par les  » sorciers blancs « . Tu dois t’en méfier ces sorciers blancs, ils sont très malins et très observateurs. C’est ainsi qu’ils ont découvert nos points faibles et ont pu nous affaiblir. Aujourd’hui, notre champ d’action est très réduit et avec l’informatisation, difficile de tromper leur vigilance ou même de voyager. Ils contrôlent tout, dans les temps il suffisait de falsifier un visa, je me déplaçais alors avec ta charmante tante et nous allions faire un petit tour en semant de petits dégâts par ci et par là. Après la lutte contre nous s’intensifia. Pour nous moquer, ils nous ont dit que nous les avons déçus, et que finalement ce fut un jeu d’enfant que de nous circonscrire. Nous avons pleuré et prié pour qu’après nous, arrive un digne représentant. Et Dieu merci, il semble que nous avons été entendus. Il faut à ton tour que tu nous entendes, petit !  Tu es promis à une très grande carrière, nous te voyons  » professionnel  » un jour, allant monnayer ton talent partout dans le monde, surtout chez ces sorciers blancs qui n’ont peur de rien, même pas des génies. La patience, la patience mon petit, la patience est un chemin d’or ! Par ailleurs, à propos d’or, ils en sont friands les sorciers blancs au contraire de nos sorciers noirs, eux préférant la chair humaine. Mais l’un dans l’autre, si tu es patient, tu sauras en tirer profit et faire profiter tout le monde. Le monde mon petit, le monde en bas et toi en haut, voilà ce que nous disent les oracles ! Tu vas voir si tu nous écoutes, tout se passera bien, même s’il arrive qu’on te découvre il faudra garder ton sang-froid. Dès que tu saisiras ta première victime, ils l’appelleront le  » patient zéro « , et ne feront rien. Retire-toi ensuite dans ce fleuve. Les villageois te protégeront, car c’est de ce fleuve qu’ils tirent leur pitance et au nom de la sauvegarde de l’environnement, ils ne toucheront pas ce fleuve, ton nid. Tu pourras y vivre caché de longues et paisibles années, en te faisant quelques victimes sans grand bruit.

Très attentif, le petit Ebola écouta sagement tous ces conseils et accepta de se mettre en veilleuse, car papa avait entre temps ébruité sa naissance vu que certains opportunistes voulaient usurper sa paternité. Si  « aux âmes bien nées, la valeur n’attend point le nombre des années « , aux virus bien nés, si ! Le petit Ebola avait tout compris et très vite, l’avenir s’annonçait radieux. En l’aidant à se cacher là dans le fleuve, il était loin d’imaginer l’intérêt qu’il représenterait dans un futur pas si lointain que çà.

Renié à sa naissance par son père belge Peter Piot, médecin de son état, le virus sera contraint de porter le nom de sa mère zaïroise, Ebola. Nourri de haine et de frustration, voilà dans quelles conditions grandira le petit Ebola. Tranquillement il va attendre, pendant que les autres virus, ses cousins, subissaient les assauts des sorciers blancs à coup de vaccin. La poliomyélite, le kwashiorkor et j’en passe feront l’objet d’études et de découvertes à coups de quelques millions de dollars, finissant sinon par disparaître, du moins à être presque neutralisés.

L’explosion ! Le sida, du virus VIH, star des années 1990 est en perte de vitesse, il semble ne plus faire recette et avait déjà semble-t-il  été maîtrisé par  » nanan  Drobo II ’’ tradipraticien ghanéen mystérieusement assassiné en 1992 pour avoir refusé de commercialiser sa recette, au retour du japon où il venait de  participer à une conférence internationale sur le VIH. Mars 2014, trente-huit ans après Ebola, bien affûté suffisamment préparé sent que son heure a sonné. Les temps sont moroses pour les épidémies, vite éradiquées.

Les virus ne sont plus aussi virulents et les sorciers blancs semblent avoir baissé la garde, n’ayant pas d’adversaires à leur mesure. Le discret palu, la malaria pour certains, fait quant à lui son petit bonhomme de chemin bon an mal an. Son secret, la discrétion un champ d’action limité. En Afrique il y a trouvé prospérité, aidé par ses éternels alliés les moustiques, et un climat tropical favorable lui permettant de conserver sa virulence à tout moment. Ebola lui choisira comme rampe de lancement, trois pays pauvres d’Afrique de l’Ouest affaiblis par des conflits, des crises interminables et de longues périodes d’instabilité.

Guinée, Sierra Leone et Liberia. En quelques semaines, il prend son envol et augmente son champ d’action tous les jours, des victimes par ci, des victimes par là. Le Nigeria, il s’y rend en première classe par avion. Pour donner l’échange, il part au Sénégal modestement par la route, en voiture banalisée. Six mois plus tard, les moyens de déplacement d’Ebola sont multiples et impressionnants. Air, mer, terre. Comme un caméléon, il se fond dans tous les environnements et use de ruse pour frapper. Alerte Août 2014, la direction de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) déclare Ebola star des stars, soulier d’or des virus, et bientôt ballon d’or  si dans les soixante jours qui vont suivre, la lutte contre le virus n’atteint pas sa vitesse de croisière.

International depuis peu, en tourisme actuellement aux Etats-Unis plus précisément dans le Texas, Ebola a le vent en poupe. Virus spontané ou programmé, Le bioterrorisme est une réalité que plus personne n’ignore et le comportement répulsif des populations rurales et même urbaines dans les pays ouest-africains foyers n’est pas anodin. Le doute existe et la tension est palpable partout. La mondialisation du virus est interprétée comme une bonne nouvelle. Les grandes puissances sont obligées de se retrousser les manches et de se pencher sur le sujet. On ne peut plus faire la sourde oreille ni fermer les yeux.

Nabe Lamine


Guinée : quand la psychose électorale profite au bal des spéculateurs

A l’orée de 2015, parlez de prochaines élections et vous verrez la grimace que fera la population en Guinée. En cause, les stigmates laissés par la présidentielle de 2010, avec tout ce qu’elle a engendré comme remous au sein de la population, des douloureux souvenirs qui ont bien souvent mis à mal sa quiétude, une psychose électorale palpable à tout instant.

Et depuis, de nouvelles donnes sont venues rajouter un peu plus d’ingrédients à cette cuisine assez épicée déjà. L’entrée dans l’arène politique des radios privées, nouvelles tribunes pour les apprentis en politique, avec des émissions interactives, semble rendre le dialogue inter guinéen encore plus difficile. Cette ouverture des ondes donne l’impression de faire de chaque Guinéen, un politicien en puissance. Chacun à partir d’un appel téléphonique s’érige en donneur de leçons, en leader d’opinion. Diffusant et communiquant ses ressentiments à longueur de journée.

A entendre tous ces messages à peine voilés, prônant la division, on a l’impression de se rapprocher dangereusement des « mille collines ». Puisse la lucidité reprendre le dessus !

Banderoles de soutien politique à Kaloum, Conakry
Banderoles de soutien politique à Kaloum, Conakry

Mouvements de soutien

Actuellement, c’est la foire aux mouvements de soutien, qui sortent de partout, puant l’opportunisme à tout vent. Les meetings avant l’heure ont commencé à se tenir. Les militants de la dernière heure se mélangent à ceux des premières heures. Entre eux se mêlent les « militants import-export ». Un tour dans leur garde-robe suffit de comprendre : une collection tee-shirts de toutes les couleurs, à l’effigie de tous les candidats et de tous les partis trône à la meilleure place.

Leur journée ressemble à un parcours du combattant… zut, du militant ! Un meeting par ci, un meeting par là, il est sur tous les fronts, changeant de tunique au passage et criant haut et fort, la main sur le cœur, son adhésion au parti, allant jusqu’à jurer qu’il donnerait sinon sa vie, toute sa fortune logée dans un compte nullement répertorié par aucune banque de la place. En blanc, en bleu, en vert, en jaune, en rouge, en orange, partout c’est la même ferveur, le même délire. En fin de parcours, il se retrouve le soir, épuisé, comptant les billets de banque, prime de son ‘’amour et dévouement’’ pour le parti.

La petite accalmie que l’on observe présentement découle de la forte présence du virus Ebola, invité surprise, qui redessine la donne politique, définissant les priorités du moment. La « hache de guerre » est enterrée ou déterrée… contre Ebola !

Qu’il a souffert le citoyen guinéen et le pouvoir en place en est conscient. Qu’il souffre le pauvre guinéen, avec le virus Ebola qui l’empêche de vivre normalement, de se regrouper.

Contexte actualisé

Alors organiser des élections si impératives soient-elles, suppose autoriser des regroupements de masse et en masse. Serait-il judicieux de le faire ? Ne serait-ce pas aller contre le bon sens et les mesures de sécurité indispensables ? Sûr qu’on y pense dans les salons feutrés de ‘’Sékhoutouréya’’, le palais présidentiel portant le nom du premier président de la Guinée, Sékou Touré.

Et pourtant  il faudra bien retourner aux urnes. Le mandat de l’actuel chef de l’Etat expirant, la légitimité passe forcément par là.

Pour le Guinéen lambda, il faudra se résoudre à subir les joutes verbales, les occupations  des rues.

Il lui faudra rivaliser d’ingéniosité et de prudence. Partir de chez lui à la bonne heure et y retourner, sain et sauf le soir, la nuit tombante, voilà le « Koh Lanta » du « Conakryka » (habitant de Conakry), son épreuve de survie pour gagner un moment de « confort » dans l’obscurité et l’insécurité.

Pour info, je suis preneur d’un GPS  si disponible, indispensable pour trouver le bon « routing », et aussi d’un « anti pierres » genre « antimissile » pour ma vieille nouvelle voiture de 20 ans,  » occasion Brussels « , comme ça se dit ici.

Nabe Lamine


Délestage à Conakry : Têfah wéh ! L’électricité est là, yeah !

C’est l’exclamation la plus répandue pour manifester sa joie quand le courant daigne rappeler que l’ampoule électrique n’est pas grillée et rendre au ventilateur son grincement familier après une longue inactivité. Têfahhhhh wéééééh ! Comme un leitmotiv infatigable, la Guinée Conakry, pays de l’ouest africain, pionnier de la lutte pour l’indépendance a sa clameur la plus usitée due au délestage intempestif. Le créateur « d’indépendance tcha tcha », tube congolais pour célébrer l’indépendance de ce pays d’Afrique centrale à l’époque, a dû y  puiser son inspiration pour cette géniale chanson des années sixty.

Frontalier à la Cote d’Ivoire, le Sénégal, le Liberia et la Sierra Leone, la Guinée de Sékou Toure, premier président de la république peine depuis 1958 à résoudre cette grosse déficience énergétique si indispensable à tout développement durable.

Eclairage à la bougie pendant un délestage à Conakry en Guinée. (Crédit photo : Nabé)
Eclairage à la bougie pendant un délestage à Conakry en Guinée. (Crédit photo : Nabé)

1984, le chef de la révolution décède, il est succédé par le soldat Lansana conté, général quelques années plus tard. Il lancera Garafiri, un ambitieux projet de construction de barrage hydroélectrique, une contribution exceptionnelle est requise avec la participation du peuple entier.  Sydia Toure entre temps, parachuté premier ministre en 1996, est sollicité pour son expérience acquise lors de son passage dans les années 1983 comme administrateur de l’EECI (énergie électrique de Côte d’Ivoire).

La desserte s’améliore mais le problème reste entier, les installations électriques de la révolution sont pillées à la mort du premier président, l’esprit mercantile prend le dessus sur celui du patriotisme tant prôné pendant le règne du premier homme fort  du régime.

L’obscurité, c’est le dada de Conakry. L’accoutumance est telle que le jour où la desserte sera normale, il faudrait, sans nul doute, laisser du temps aux populations pour s’adapter à la lumière ; le port de lunettes spéciales, il faudrait également y penser.

Quand la nuit tombe tous les chats sont gris !

L’obscurité aidant, les professions nocturnes semblent les plus rentables, et les petits larcins de jour se transforment en attaques de bandes armées pour troubler le sommeil de paisibles populations. Populations, rompues par un quotidien rigoureux, ayant du mal à dormir les poings fermés et servis par le cocktail explosif, chaleur – moustiques.

Qui pourrait nous dire exactement le montant des investissements engloutis par l’EDG (énergie de guinée), structure étatique chargée de la gestion de la chose énergétique. Même les plus grands cabinets d’expertise comptable du monde s’y casserait la figure, tellement les labyrinthes pour y entrer sont alambiqués.

Le challenge à la direction de la plus célèbre des institutions guinéennes, c’est de rester directeur le plus longtemps possible, de rivaliser d’ingéniosité dans le détournement des fonds à des fins personnelles, de faire face à la rue, sombre et occupée par les revendications quotidiennes.

Têfahhhhh wéééééh, ce cri, qui ne le lance pas, n’est pas guinéen, wéh !

Comme un étranger que l’on reçoit, comme un visiteur attendu, espéré, le courant ( têh) est la chose la plus attendue, la plus espérée en Guinée ! On n’y perdrait son bon sens, mais c’est la triste réalité du château d’eau ouest africain.

Les intermittents de la junte militaire Dadis et Sékouba Konaté  en ont aussi fait leur « cheval de bataille » en montant sur leurs grands chevaux pour gagner cette guerre des cents ans !

Des centaines de milliards d’euros ou de dollars sont aussi passés à la trappe comme d’habitude, sans trace, pardon avec l’obscurité on n’y peut voir grande chose.

Au tour de Alpha Condé de dégainer une proposition. Le projet « Kaleta » qui est un énorme chantier de construction d’un barrage hydroélectrique est lancé, les espoirs et surtout les attentes sont grandes pour ce président, le premier démocratiquement élu en 2010.

Ce projet de Kaléta, pour une durée de quatre ans, doit produire à la fin des travaux  240,6 mégawatts d’électricité. Cet important ouvrage est réalisé par China International Weather Energie (CWE) une entreprise chinoise pour un coût total de 546 millions de dollars US.  Un expert est passé, pardon un ange !

La dernière passation de service à la direction de l’EDG a eu lieu au mois d’avril dernier, entre le sortant Abdoulaye keita et le nouvel entrant, Nava Touré. De son premier discours, nous retenons son appel à la patience :

« L’appel que je lance à la clientèle, ce n’est pas un appel d’indulgence parce qu’effectivement, un service électrique défaillant est intolérable. Mais plutôt nous demandons de la patience car il est impossible qu’un système qui est entravé dans des handicaps majeurs, structurels depuis des décennies puissent en une nuit passer de l’état d’insatisfaction à un état de satisfaction ».

J’ajouterai : « Passer de la nuit noire, de la journée obscure à la lumière le jour et  la nuit ! »

Bref tout est dit, à bon entendeur salut !

EDG, communément appelé (Ennemie De Guinée) c’est le souffre douleur, celui qui trinque quand le citoyen lambda est fatigué des incessants délestages. Les manifestations de rue pour protester contre l’absence récurrente du courant sont légion avec leurs cortèges funèbres et dégâts matériels inestimables.

Equation à plusieurs inconnues, la fourniture d’électricité domestique et industrielle reset une nœud gordien qu’aucun coup d’épée ne semble pouvoir dénouer. Un demi-siècle plus tard, les responsables politiques et experts en la matière n’y trouvent toujours pas de solution.

De l’avis général, quand le courant sera, la Guinée s’éveillera, alors placée comme priorité des priorités, sa fourniture semble prendre une dimension plus que politique et presque historique.

Le débat politique des futures élections trouve là un sujet des plus intéressants, et chaque camp s’y prépare. D’un côté, on espère des résultats de Kaleta, de l’autre on attend les comptes, entre temps :

Têh siga ! (le courant est parti) comme il est venu sans prévenir, sans que j’ai pu repasser ma chemise que j’avais prévu de mettre demain pour mon entretien d’embauche ! Grrrrrrrr !

 

Nabé


Ici, c’est Bambeto

Situé à environ une dizaine de kilomètres du centre ville de Conakry en Guinée, Bambeto, cette petite bourgade en banlieue, est un vrai « casse tête chinois  » à l’échelle étatique. En lui seul, une énigme et, même plus, une épine qui pique chaque fois qu’un événement social s’oppose à son bon vouloir. Il est 6h du matin, au grand rond point, nombril de ce quartier qui s’en identifie par ailleurs, grouille déjà de petit monde. Les  « coxers », de jeunes rabatteurs pour le service local de transport en commun, sont à pied d’œuvre pour « charger bord à bord » les magbanas (mini bus) et des véhicules de 20 ans d’âge, faisant office de taxi et marqués par la rudesse de leur parcours quotidien sur des routes dégradées, parsemées de nids de poule, de dos d’ânes, de rochers et j’en passe.

Rond-point de Bambeto. (Crédit photo : Lamine Nabé)
Rond-point de Bambeto. (Crédit photo : Lamine Nabé)

La gare routière située juste derrière une station d’essence de la place commence, elle aussi, à débiter les premiers « pih pih » de son interminable concert de klaxon. Le petit déjeuner est, quand à lui, prêt comme d’habitude, au choix s’il vous plaît : riz sauce feuille, riz sauce tomate, riz arrosé de « soumbara » (épice local très prisé) ou le fameux « lafidi », une spécialité locale. Le « dapa », sorte de pâte jaune à base de maïs accueille lui aussi ses partisans, servi selon la revenu du consommateur (demandeur).

Une vieille superstition dit que les véhicules en tête de course, appelé « prioritaire », doivent tout faire pour embarquer les premiers voyageurs qui se présentent au risque d’être sujet à une journée pourrie pleine de mauvaises fortunes.

Une heure plus tard, retour au rond point où la circulation commence à se densifier. Les automobilistes pressés comme toujours, soucieux d’arriver au plus vite à leur site de travail, rivalisent de dextérité. La priorité, en principe, selon le code de la route est à… droite, vous croyez, non ? Détrompez-vous, à Bambeto comme partout dans cette ville inénarrable, Conakry,  la priorité est au plus prompt, au plus audacieux, au « kamikaze », celui qui sans vous jeter un regard vous montre qu’il  est bien décidé à y aller, au détriment du bon sens, au risque d’un accrochage et de tout ce qui en découlerait ou pourrait en découler.

Sans feux rouges, le rond point fonctionne à l’ancienne, avec les indispensables agents de  police routière (de la circulation), habillés comme ils peuvent, d’une chemise qui n’a de bleu qu’un soupçon. Sifflet au bec, ils règlent autant que faire se peut, les passages de centaines de véhicules allant dans tous les sens.

Quatre heures plus tard, le soleil est bien là, tout là haut, et çà se sent et se ressent. Le trafic s’est encore un peu plus étoffé, klaxon et sifflets diffusent une harmonieuse cacophonie. Les automobilistes apprécient et, parfois, ce sont les véhicules et non les « choferr », lisez « chauffeurs » et comprenez « conducteurs », qui en prennent un coup, matraqués (au propre) pour leur indiscipline, leur stationnement désordonné, le temps de ramasser à la hâte quelques passagers çà et là.

Les petits vendeurs d’eau et de petits gâteaux faits maison déambulent entre les voitures, proposant de vives voix leur marchandise bien conservée. Généralement mineurs, ils maîtrisent les us et codes de ce rond point, leur lieu de travail, leur gagne pain. Ne vous y trompez pas, le cent mètres pour eux, c’est en moins de dix secondes, Usain Bolt n’a qu’à bien se tenir, une relève probable se dessine à Bambeto.

Qui s’y frotte, s’y pique. Réputé pro-opposition, Bambeto passe pour une zone de turbulence semblable à celle que traverse un avion dans le ciel. Pour un oui ou pour un non, tout part en « couille » au quart de tour  (c’est le cas de le dire).

De Lansana Conté à Alpha Condé, en passant par le fantasque capitaine, Dadis Camara, tous (Présidents) ont eu droit à leurs nuits blanches, causées par cette cité imprenable, autonome où jeunesse rime avec débrouillardise et laisser pour compte. Bastion des contestations, point focal de toutes les manifestations de rue, Bambeto, la révoltée, assume et affirme son caractère. Jamais intimidée, toujours en première ligne, elle ne lâche rien, et finit toujours par en imposer aux forces de l’ordre qui la redoutent par ailleurs.

A fleur de peau, le moindre délestage à l’occasion d’un match de foot peut entraîner un déferlement de masse sur la voie publique, leur jardin, pardon, leur tribune de communication. Notons au passage que, en la matière, ils ne manquent pas d’arguments et surtout de moyens.

Disons que rien n’est fait pour éviter cela. La fourniture d’électricité y est purement aléatoire autant que celle de l’eau au pays du château d’eau d’Afrique. Alors, pour exprimer son ras le bol, la rue est barricadée à chaque fois et tant pis pour les suicidaires, il faudra slalomer, se faufiler pour échapper aux jets de pierres qui jaillissent de nulle part. Un concours avec la Palestine permettrait d’établir un classement mondial, où inscrire le jet de pierre comme discipline olympique offrirait certainement des médailles à la Guinée !

Toujours stigmatisée, indexée négativement, Bambeto regorge pourtant comme partout de jeunes talentueux, ingénieux, soucieux de leur devenir, qui ne demandent qu’une seule chose : leur offrir l’opportunité de vivre « normalement » en étant valorisés.

A l’instar de toutes les cités banlieusardes, Bambeto se veut l’expression du sentiment de révolte qui traverse ou anime toute une jeunesse. Elle se veut le porte drapeau d’une jeunesse en mal de repères, une jeunesse privée de rêves, nourrie de chimères, au lendemain incertain, sacrifiée par un immobilisme séculaire à tous les niveaux.

Bienvenue, car même si, vue de dehors, il n’y fait pas bon vivre, on n’y vit tout de même, avec nos valeurs : le courage, l’engagement, l’abnégation, l’envie de s’en sortir.

Ici, c’est Bambeto !

 Nabé Lamine

@mnabe_m